« À première vue, à première écoute, ses associations, ses raccourcis paraissaient incongrus, incohérents. Puis ses mots, jusque là figés, jusque là décomposés, se recomposaient et finissaient par s’avancer. En pleine lumière.
Alors on l’écoutait, on prêtait l’oreille. Ce fut ainsi lorsque nous nous retrouvions dans cette chambre, en lits distincts, tout juste séparés par l’épaisseur d’une table de chevet. Allongés, dans le noir de la pièce, nous étions face à face, chacun sur nos matelas respectifs, immobiles, rêveurs. Alors, elle se mettait à parler. En ma direction mais aussi par-dessus moi. Elle parlait aux murs, aux Océans, aux Pôles Sud , aux Mers du Nord. Elle parlait d’une voix mesurée, lancinante. Mais dans les résonances inside me, c’était comme une tempête, vagues immenses qui me venaient, me revenaient, flux et reflux battant à mes oreilles. Cela ne faisait pas grand-bruit, souffles retenus, respirations si légères.
Elle parlait, elle ne cessait de parler, elle parlait, elle disait : en métronome de la Nuit ».

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Elle disait : «Le courage, c’est de continuer de mettre un pied devant l’autre même quand la terre s’ouvre sous tes pas».

Elle disait : «Oui je crois être courageuse mais d’un courage stupide. Et suis aussi têtue. D’un entêtement lamentable».

Elle disait : «Retiens ces deux paroles. Ezéchiel : «Les hauteurs ne sont que duperies» et Elias Canetti : «La gloire, cette vermine».

Elle disait : «Lecteur glouton, tu te crois malin à dire que tu dévores les livres. Plus intéressant serait de dire en quoi ils te nourrissent».

Elle disait : «Tout va bien» : voilà bien une phrase catastrophique».

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Elle me disait : «A croire que toute oreille humaine vibre à la force des vents. Vents de l’obéissance, vents de la révolte».

Elle disait : «Partout, toujours, l’unanimité moins un».

Elle me disait : «Ecrivant, l’écrivain est Solitude. Auteur, il est l’Être social. Porteur des deux, ainsi va t-il, claudiquant».

Elle me disait : «Lorsque le temps était à l’incertain, il n’hésitait jamais entre le parapluie et le parasol. Il partait tête nue».

Elle me disait :  «Si le poète ramasse du bois mort c’est pour en faire de somptueuses forêts».